Dr Joel Lexchin, professeur au School of Health Policy and Management de l’université York (traduit de l’anglais)
Rendons justice aux compagnies pharmaceutiques. Quelques-unes des drogues qu’elles ont introduit sont des avances importantes, et nous sommes réellement plus sains en conséquent. La pharmacothérapie a transformé le SIDA d’une condamnation à mort en une simple maladie chronique, et quelques nouveaux traitements contre le cancer avancent la cause de façon importante.
Mais malgré les réclamations de Russell Williams, président des Compagnies de recherche pharmaceutique du Canada, la plupart des médicaments n’offrent aucun avantage sur les drogues préexistantes. Il est intéressant de s’interroger sur l’évidence citée par M. Williams dans son affirmation, puisque la majorité des essais cliniques patronnés par les établissements pharmaceutiques sont de type non-infériorité ou équivalence, c’est-à-dire, ils ne sont pas conçus pour démontrer qu’un produit particulier est supérieur à un autre.
De plus, lorsqu’un nouveau médicament dans une classe est introduit, il n’est pas évalué chez les gens qui ont échoué un essai avec un produit existant de cette même classe. Comment pouvons-nous alors connaître la valeur supplémentaire des nouvelles pharmacothérapies ?
Le bulletin La revue Prescrire examine les nouveautés et nouvelles indications pharmaceutiques sur le marché français. Entre 1996 et 2006 il a entrepris presque 1 000 évaluations de ce genre. Deux produits étaient des innovations thérapeutiques majeures dans un secteur où aucun traitement n’était disponible précédemment, et 38 démontraient une certaine valeur en tant qu’innovations thérapeutiques importantes, avec certaines limitations toutefois. Même en incluant les médicaments ayant une certaine valeur sans pour autant changer fondamentalement la pratique thérapeutique actuelle, il demeure toujours que
85 % des nouveaux médicaments et nouvelles indications évalués durant cette période n’offraient aucune nouvelle valeur thérapeutique.
Lorsqu’un nouveau médicament breveté est commercialisé au Canada, son prix est typiquement établi au niveau du produit le plus coûteux de son groupe thérapeutique, sans tenir compte de sa valeur thérapeutique progressive. Les établissements pharmaceutiques déterminent leurs prix sur la base de ce que le marché supportera et non pas des coûts de recherche et de manufacture du médicament.
Lorsque les médicaments vont hors brevet et les produits génériques entrent sur le marché, les manufacturiers des médicaments d’origine refusent toujours de faire concurrence sur la base des prix.
L’utilisation et les changements démographiques de la société sont des forces motrices dans la hausse des prix des médicaments d’ordonnance, cependant M. Williams omet un des principaux inducteurs de coûts. La substitution de médicaments plus vieux et moins coûteux avec ceux qui sont plus récents et plus chers, qui ne sont généralement pas supérieurs que ceux couramment utilisés. Les diurétiques thiazidiques ne coûtent que quelques sous par jour, et l’étude ALLHAT a démontré qu’ils étaient au minimum tout aussi efficaces - sinon supérieurs - que les inhibiteurs calciques et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine qui, eux, coûtent plusieurs dollars par jour.
La promotion agressive des nouveaux produits pharmaceutiques demeure une des causes principales de ce revirement du modèle posologique. Une étude à laquelle j’ai collaboré a démontré qu’aux États-Unis, les entreprises dépensent plus de $ 57 milliards par année à la commercialisation des produits aux médecins. Bien qu’il n’existe aucune donnée canadienne précise à ce sujet, même si on divise ce chiffre par 15, cela signifie qu’au Canada les compagnies dépensent peut-être 3,8 $ milliards par année, presque quatre fois le montant accordé à la recherche et au développement. De plus, la majorité de ces dépenses de commercialisation vont à la promotion de nouveaux médicaments dont les données en matière de sécurité sont toujours très incomplètes.
Enfin, presque toutes les études observant le lien entre l’utilisation de documents promotionnels comme source d’information objective et les comportements posologiques des médecins ont conclu que lorsque les médecins se fient aux messages liés à la commercialisation des médicaments, le processus de prescription se détériore.
M. Williams fait référence à une étude qui a déterminé que si les autres provinces canadiennes avaient augmenté leurs dépenses en médicaments innovateurs comme l’a fait le Québec, elles auraient économisé plus d’un milliard de dollars en soins de santé. M. Williams aurait dû ajouter que cette étude a été rendue possible grâce à une subvention sans restrictions de son organisme. Il y a une omission plus flagrante dans son analyse, c’est-à-dire le fait que la politique québécoise de payer pour les médicaments signifie que le gouvernement continuera à payer le prix du médicament d’origine pour une période allant jusqu’à 15 ans, et ce même si une version générique du même médicament est disponible.
Nous devons absolument dépenser pour les innovations ; cependant, dans le cas de la pharmacothérapie, nous payons trop souvent pour la commercialisation de nouveaux produits qui n’offrent aucune nouvelle valeur thérapeutique.
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