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28 octobre 2013

L’avenir des soins de santé en Amérique du Nord : existe-t-il une convergence États-Unis-Canada dans la donne?

DÉJEUNER AVEC LES CHEFS
VENDREDI 18 OCTOBRE 2013

Présentations et mot de bienvenue du modérateur, Anton Hart, président de HealthcareBoard et éditeur de Longwoods Publishing. M. Hart remercie les parrains de l’événement, le Conseil canadien de la santé et Accenture, avant de présenter les chefs du jour :
Trudy Lieberman, ancienne présidente de l’Association of Health Care Journalists des États-Unis, s’occupe actuellement de la section santé de la Columbia Journalism Review. Mme Lieberman visite quatre villes canadiennes en qualité de titulaire d'une bourse d'études Fulbright et d’invitée de l’Evidence Network of Canadian Health Policy, connu sous le nom d’EvidenceNetwork.ca.
André Picard est reporteur et chroniqueur en matière de santé au Globe and Mail, et lance un nouvel ouvrage le 30 octobre, par l’entremise du Conference Board of Canada.
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TRUDY LIEBERMAN commence par répondre à ce qui est, à son avis, la principale question qui intéresse les participants, à savoir « en quoi consiste l’Obamacare? ». Elle donne ensuite un aperçu de l’Obamacare, tout en mentionnant qu’André Picard abordera les domaines de convergence entre les systèmes de santé des deux pays.
Qu’est-ce que l’Affordable Care Act? Tout d’abord, indique Mme Lieberman, cette loi ne procure pas une assurance maladie à tous les Américains. Elle vise le marché individuel, là où se rendent les gens pour recevoir des soins de santé lorsqu’ils n’ont pas d’assurance. Encore là, les assureurs de ce marché ne couvrent souvent pas certaines affections préexistantes, comme l’asthme. Grâce à l’Obamacare, les personnes touchées auront moins de mal à magasiner dans ce marché.
Mme Lieberman écrit depuis 20 ans sur les soins de santé aux États-Unis et sait que les Américains ont du mal à naviguer dans ce système.
Quelque 25 millions de personnes, aux États-Unis, souscrivent une assurance sur le marché individuel; ce sont ces personnes qu’Obamacare veut aider. Certaines personnes ont déjà souscrit une assurance maladie dans le passé, tandis que d’autres le font pour la première fois. Afin de persuader les gens d’adopter ce système, le gouvernement offre des subventions. Pourtant, 40 % du marché individuel ne remplissent pas les conditions requises pour l’octroi d’une subvention, sans compter les sanctions qui sont imposées pour la non-souscription d’une assurance, et ce, même si le coût d’une bonne police pourrait s’élever à plus de 16 000 dollars.
La population s’inquiète et ne sait pas si les subventions suffiront à se procurer une police d’assurance maladie convenable ou si elles perdureront. Les Américains de la classe moyenne sont plus particulièrement touchés.
La loi sur la réforme exigeait un élargissement de Medicaid, le programme fédéral-État destiné aux pauvres, mais 27 États ont décidé de ne pas procéder à cet élargissement et de laisser les personnes dont les revenus sont sous le seuil de pauvreté devant une absence d’option. Ces personnes, privées de la possibilité d’acquisition dans les groupes d’échange, sont trop pauvres pour souscrire une assurance par leurs propres moyens.
À son avis, le talon d’Achille de l’Obamacare est le manque d’élargissement de Medicaid.
La confusion qui entoure l’Obamacare réside également dans le fait que la presse et les médias n’ont pas toujours bien expliqué la question au public américain.

AUTRES POINTS IMPORTANTS
L’Obamacare ne crée pas d’équité. Les groupes d’échange proposent quatre types de régimes. La plupart des Américains devraient opter pour le régime bronze, qui couvre 60 % des coûts. Le régime argent couvre 70 % des coûts, le régime or, 80 %, et le régime platine, 90 %. De nombreux États ne seront toutefois pas en mesure d’offrir le régime platine, trop coûteux pour la plupart des acheteurs potentiels.
Les dépenses assumées par les individus sont élevées. Les franchises seront de l’ordre de 4 000 dollars à 6 000 dollars pour une police familiale, mais pourraient atteindre des sommes aussi élevées que 10 000 dollars à 20 000 dollars. La coassurance correspond au pourcentage de l’assurance qu’un patient doit assumer, comme pour l’imagerie diagnostique, non couverte par les régimes.
Plusieurs réductions de coûts ont été réalisées, notamment pour transférer les services offerts en milieu hospitalier à des établissements de consultations externes. Les assureurs demandent aux personnes de payer une grande part du coût partagé pour les services les plus utilisés. Ce point n’est pas encore bien compris par la population américaine.
L’Obamacare ne comporte pas de clause de limitation des coûts.
Mme Lieberman ne sait pas si l’Obamacare fonctionnera et pense qu’il faudra au moins deux ou troiscycles d’assurance pour savoir ce que les assurances feront des primes et si les gens souscriront et auront vraiment une assurance.
Malgré l’objectif d’offrir des soins de santé abordables, elle prévoit que les Américains ne les obtiendront pas.
L’administration et les médias auraient pu faire mieux pour promouvoir la nouvelle loi, selon Mme Lieberman. Leurs manques ont provoqué une sorte de mouvement de rejet de l’Obamacare. Toutefois, on n’a pas parlé de façon soutenue de ce que cette loi pouvait faire et fera. L’obligation de souscrire l’assurance maladie n’a jamais été clairement énoncée, ce qui était sans doute un acte délibéré de la part de l’administration en vue d’éviter les réactions défavorables. Ironiquement, les Républicains ont été les premiers à présenter ce type de régime, dans les années 1990, pour contrer les plans de l’administration Clinton.
Mme Lieberman estime que la presse aurait pu mieux exposer la situation au public pour que les choses soient plus claires, parce que la plupart des Américains sont plutôt embrouillés.
ANDRÉ PICARD remercie Trudy et indique que son exposé lui en apprend toujours plus.
Son propos est axé sur les problèmes communs auxquels sont confrontés le Canada et les États-Unis.
Il précise que, de bien des manières, nous faisons les choses de la même manière des deux côtés de la frontière, exception faite des débats, ce qui nous devrait nous tenir à l’écart de l’outrecuidance. Le Canada n’a pas de « loi sur les soins abordables ». Selon M. Picard, il existe de grandes disparités entre les provinces, mais nous évitons d’en parler.
Nous sommes en outre confrontés à un grand nombre de problèmes financiers similaires à ceux de nos voisins, mais là encore, pas un mot sur le sujet. Les soins de santé, au Canada, couvrent seulement 70 % des coûts. Les Canadiens assument environ 30 % des frais médicaux, parce que plus d’éléments, comme les médicaments, ne sont pas couverts.

PROBLÈMES COMMUNS
1)    TRANSFERT DES SOINS À LA COLLECTIVITÉ. Les modèles hospitaliers doivent se transformer en modèles communautaires. Aucun régime ou organisme ne satisfait aux demandes et aux besoins de soins à domicile et de soins infirmiers à domicile.
2)    SOINS PRIMAIRES. Il faut de meilleurs services de soins primaires. Un point de coordination central pour les soins de santé doit être fixé – du genre qui procure un soutien tout au long du parcours du patient. Nous savons que les événements fâcheux se produisent au cours de la transition en raison du manque de coordination, insiste M. Picard. Alors, qui se chargera de nous coordonner et de nous guider sur le chemin complexe des soins?
3)    Nécessité de passer d’un MODÈLE DE SOINS AIGUS à un MODÈLE DE SOINS CHRONIQUES.
4)    MÉDICAMENTS : Les coûts élevés créent un énorme vide dans le système canadien. Les régimes publics couvrent à peine 45 % des médicaments. Les régimes privés resserrent également les cordons de leurs bourses. Ainsi, près de 600 000 Canadiens ne bénéficient d’aucune couverture des médicaments onéreux, ce qui constitue un trou béant dans le régime d’assurance-maladie.
5)    DÉTERMINANTS SOCIAUX : L’inégalité a des effets massifs sur le bien-être des gens.
6)    QUALITÉ : Ce point est gigantesque. Des erreurs médicales ou des manifestations indésirables qui découlent d’un manque de qualité font partie des principales causes de décès évitables. La population veut des soins de santé abordables, mais pas au mépris de la qualité.
7)    RATIONNEMENT : Les États-Unis rationnent les soins sur le plan économique. Vous n’obtiendrez pas de soins que vous n’êtes pas en mesure de payer. Au Canada, les services sont congestionnés, ce qui crée des listes d’attente pour certains types de soins. Le rationnement est une réalité, il suffit de trouver la meilleure façon de l’appliquer.
8)    LES PATIENTS QUI UTILISENT LES SOINS DE SANTÉ À OUTRANCE : Au Canada, 1 % des patients utilisent 25 % des soins, alors qu’une autre proportion de 5 % en consomme 50 %. Il est possible de contrôler les coûts par une meilleure gestion des patients qui présentent des cas difficiles. Nous devons nous montrer plus novateurs et plus ingénieux, souligne M. Picard. Un homme, par exemple, présentait toutes sortes de problèmes de santé pour lesquels il a visité les services des urgences à 238 reprises en un an, pour un coût estimatif de 1,5 million de dollars au système. On a décidé de lui affecter une infirmière à temps plein, pour un coût de 60 000 dollars par année. Cette infirmière a même trouvé un appartement pour l’homme en question. Elle est une sorte de phare. L’année suivante, cet homme n’a rendu que 60 visites aux services des urgences. Cette solution pragmatique a permis d’économiser près de un million de dollars.
9)    PUBLIC PAR OPPOSITION À PRIVÉ : Le Canada possède les deux systèmes, que nous le sachions ou nonLes États-Unis les possèdent aussi. Nous devons parler de la bonne proportion de soins de santé publics et privés. À l’heure actuelle, elle est d’environ 70-30.

Les deux pays doivent avoir de vraies conversations sur les soins de santé. Mais quelle est la bonne tribune pour tenir ce genre de discussion où règne trop d’extrémisme? Alors, comment avoir cette discussion on ne peut plus nécessaire? demande M. Picard.
TRUDY LIEBERMAN : Les soins de longue durée constituent un problème de taille aux États-Unis. Il est intéressant de voir ce que le pays a fait concernant cette question. L’Affordable Care Act comprenait une Class Act, défendue par feu le sénateur Ted Kennedy. Elle n’était pas très populaire, au début. L’idée sous-jacente consistait à investir un peu dans le système fédéral, puis à puiser dans ce même système plus tard dans la vie. Mais la disposition a été abrogée parce qu’elle n’aurait pas fonctionné : personne n’aurait cotisé à un programme volontaire.
Depuis l’abrogation de la Class Act, on n’a pratiquement plus parlé des soins à domicile aux États-Unis.
Nous avons toutefois une chose qui a relativement bien fonctionné, l’Older Americans Act, et qui remonte à l’administration Johnson. Cette loi fournit des services pour que les personnes âgées restent à la maison. Elle n’a malheureusement pas reçu suffisamment de fonds pour au cours des dernières décennies, ce qui a entraîné la création de longues listes d’attente pour des services de soins à domicile dans presque tous les États. Certaines personnes attendent des mois juste pour bénéficier des services de repas chauds de la popote roulante. LE PERSONNEL FAIT DE SON MIEUX MAIS, BIEN SOUVENT, LE MEILLEUR NE SUFFIT PAS, a dit quelqu’un.

QUESTIONS/COMMENTAIRES de l’auditoire
1)    DR CHARLES WRIGHT, membre du conseil, Conseil canadien de la santé : Ces propos m’ont beaucoup éclairé. Vous avez utilisé le mot « rationnement », qui fait grincer des dents. Si on pouvait récupérer une partie des soins inutiles, il faudrait instaurer un genre de rationnement, mais au moins, le système serait plus viable.

ANDRÉ PICARD : Entre 25 et 30 % des soins de santé sont fournis en excès. Nous devons rationner les soins là où cette mesure fonctionne et est efficace. Des soins rationnés, fondés sur des données probantes.

TRUDY LIEBERMAN : Nous tenons ces propos depuis bien des années, mais aucun geste n’est posé en ce sens. Certains puissants intéressés aiment faire des analyses additionnelles, et il est difficile de négocier avec ces forces.

2)    SHOLOM GLOUBERMAN, président, Patients Canada : Nous ne disposons pas de services de santé dans la collectivité. Nous n’établissons pas de partenariat avec les patients en soins chroniques. Nous avons une profusion de soins hospitaliers et très peu de services communautaires – au Canada, nous investissons une fraction de ce que dépense la Grande-Bretagne en services communautaires. Les assurances ne les couvrent pas, mais le font pour les hospitalisations, par exemple. Notre population vieillit, et les maladies chroniques font petit à petit partie du quotidien. Nous ne traitons pas cette question adéquatement. Les patients ne sont pas des partenaires dans le cadre de leurs soins. Nous devons commencer à mettre sur pied des services communautaires, parce qu’ils ne sont pas couverts par les assurances.

ANDRÉ PICARD : Il y a indéniablement là des problèmes d’administration. La création de l’assurance maladie remonte aux années 1950 et correspondait à la démographie de l’époque. Cette variable a changé, tout comme les besoins. Mais le système ne s’est pas ajusté pour tenir compte des changements démographiques.

3)    QUESTION : Qui doit déterminer la frontière entre la nécessité et la futilité des soins? Qu’est-ce qui découlera de la prochaine décision de la Cour suprême du Canada?

ANDRÉ PICARD : Le fait que les tribunaux tranchent la question est déplorable, comme l’est le manque de courage politique, dans ce pays, pour traiter de cette affaire. À mon avis, la question au sens plus large est « qu’est-ce qui relève de l’assurance maladie et qu’est-ce qui n’en relève pas? ». Problème épineux. Comment rationner des services publics? Au Canada, nous le faisons en esquivant la discussion. Nous sommes passés à un système populiste, comme aux États-Unis.

4)    JOHN G. ABBOTT, chef de la direction, Conseil canadien de la santé : Comment l’Obamacare se raccorde-t-il au déficit américain, et quelles sont les comparaisons avec le Canada?

TRUDY LIEBERMAN : L’Obamacare ne casse pas la tirelire, en lui-même. En définitive, les opposants à l’Obamacare veulent traiter de l’admissibilité à l’assurance maladie et de sa privatisation – comme pour l’assurance-médicaments. La population est d’accord avec le fait que les citoyens mieux nantis paient davantage pour les soins de santé, mais quelle est la définition de « bien nanti »? Ce point préoccupe ceux qui soutiennent l’assurance maladie, et il s’agit d’un énorme problème. L’autre point renferme le droit aux prestations et la sécurité sociale. Beaucoup veulent la privatiser. Mais le coût d’une formule évolutive risque de changer afin de réduire le montant des dépenses pour le gouvernement, ce qui nuira aux foyers à faible revenu, surtout les femmes. Les subventions à long terme prévues par l’Obamacare entreront ensuite en jeu. Elles sont financées pour une période de 10 ans, mais nous ne savons pas si elles seront assurées à long terme. En somme, elles connaîtraient le même sort que l’assurance maladie, quel qu’il soit.

5)    COMMENTAIRE SUR LES COÛTS HOSPITALIERS

TRUDY LIEBERMAN : Rien, dans l’Affordable Care Act, n’exige que les prix ou les services soient négociés. Les hôpitaux affichent des prix « de détail », habituellement assez élevés. Mais ils sont très différents d’un hôpital à l’autre, même au sein d’une même collectivité. Cependant, ces prix sont en grande partie fictifs. [quelqu’un de l’auditoire : « Ils sont destinés aux Canadiens qui viennent se faire soigner » – rires]. En pratique, les hôpitaux négocient avec les assureurs et s’entendent sur beaucoup moins que les coûts affichés. De nombreux réseaux hospitaliers prennent de l’expansion et deviennent des conglomérats qui entrent en concurrence les uns avec les autres. Ils mettent en valeur le fait qu’ils disposent du meilleur équipement ou des meilleurs soins cardiaques, mais ne parlent pas du prix. On craint réellement que ces conglomérats détiennent un jour suffisamment de pouvoir pour fixer les prix sans grande concurrence ou réaction de la part du gouvernement.

ANDRÉ PICARD : Les Canadiens ignorent les coûts réels des soins de santé. Ils sont excessifs. Nous avons un système comparable à celui des États-Unis.

TRUDY LIEBERMAN : L’article de Brill sur les soins de santé, paru dans Time Magazine, était vraiment bien écrit.
Il faut plus de transparence.

Fin du déjeuner avec les chefs.

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