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18 décembre 2012

C’est vraiment dur quand on pense ne pas avoir sa place dans ce monde

Rosie Dransfeld – Documentariste indépendante, gagnante d’un prix Gemini, établie à Edmonton

Au cours des cinq dernières années, j’ai travaillé à plusieurs documentaires sur les Autochtones qui vivent en milieu urbain. Le premier film, qui a remporté un prix Gemini en 2010, s’intitulait Broke: a portrait of a pawnshop, the bank of the poor. Disponible sur DVD à www.idproductions.ca.

 Cette année, j’ai achevé Who Cares, qui nous plonge dans le monde dangereux et sombre de la prostitution de rues. VSD à partir du 8 janvier 2013 à www.nfb.ca/whocares.

À la fin de cette année, Antisocial Limited fera sa sortie. C’est l’histoire d’un Autochtone, un ancien détenu, qui lutte pour créer une entreprise de bâtiment complètement autochtone, dans le but de refaire une beauté au quartier désavantagé où il habite.

La pauvreté, le dysfonctionnement et le désespoir des communautés que j’ai visitées sont alarmants. Chaque jour, ces communautés font face au racisme et au mépris. Dans le système médical, les Autochtones sont souvent traités comme des citoyens de deuxième classe, ils sont trop aisément refusés ou se voient forcés d’attendre plus longtemps. Des sentiments de méfiance et d’aliénation en résultent. « On ne peut pas faire confiance aux Blancs. »

« C’est vraiment dur quand on pense ne pas avoir sa place dans ce monde. » C’est la réponse que m’a faite Shelly, une Autochtone d’Edmonton âgée de 40 ans, quand je lui ai demandé pourquoi elle n’avait jamais essayé d’échapper au cercle vicieux de la toxicomanie et de la prostitution.
Shelly est l’un des personnages principaux du documentaire Who Cares. Ce film se penche sur le terrible sort des prostituées qui travaillent dans les rues. Environ 70 % des femmes dans le commerce du sexe sont autochtones. Elles sont victimes d’abus de toutes parts : maquereaux, souteneurs, trafiquants de drogues et autres prostituées. La police les harcèle et les arrête. Les amendes à payer pour sollicitation et communication à des fins de prostitution sont élevées. La seule façon pour ces femmes de les payer afin d’éviter la prison est de retourner à la rue et de vendre leur corps. Chaque jour est une bataille pour la survie. Pauvres et sans-abri, ces femmes vivent en zone de guerre, n’ayant nulle part où se réfugier.

La plupart des femmes et des adolescentes que j’ai interviewées durant la recherche et la production de ce documentaire avaient été sexuellement violentées quand elles étaient petites. Souvent, elles souffraient du syndrome de stress post-traumatique, de toxicomanies, du diabète, d’ITS, de la tuberculose et de l’hépatite, entre autres.

Ces femmes se sentent non seulement ostracisées dans leurs communautés, mais aussi dans le système médical. J’ai beaucoup entendu parler de médecins et d’infirmières qui faisaient des commentaires racistes et condamnaient moralement ces femmes. C’est pourquoi les sentiments de méfiance et d’aliénation envers la profession médicale sont si grands.

Le plus souvent, ces femmes ne consultent un médecin que quand elles sont gravement malades. Étant sans-abri, coupées de leur famille et distanciées de leurs amis, elles ne peuvent pas suivre de plans de traitement ou modifier leur style de vie. Il existe des programmes efficaces pour aider les femmes à échapper à la rue durant les 72 premières heures, mais après il n’y a presque rien pour les guider dans les ajustements radicaux qu’elles doivent faire pour se sortir de leur milieu à haut risque. De plus, les traitements pour maladies mentales, comme l’ETCAF et le syndrome de stress post-traumatique, sont rarement disponibles et trop souvent désespérément sous-financés.
Bien souvent, la médecine occidentale ne semble pas réussir à se mettre au service des patients autochtones. Il y a une déconnexion totale entre la culture occidentale et la culture autochtone. Alors que la médecine occidentale se concentre sur les causes évidentes et directes d’une maladie, la médecine autochtone adopte une approche beaucoup plus holistique. En dépit des terribles ravages causés à leurs communautés et à leurs liens familiaux, la plupart des Autochtones restent attachés à leur culture, avec la certitude qu’on ne peut guérir le corps qu’en guérissant l’âme.

Pour réussir à entrer en rapport avec la communauté autochtone, nous devons respecter sa culture et traiter les Autochtones comme des êtres humains compétents, qui ont le sens des responsabilités. Nous devons faire preuve d’humilité, écouter et prendre le temps. Idéalement, nous devrions viser la synergie. Nous devrions apprendre les uns des autres. Notre médecine occidentale présente bien des failles et, à long terme, je suis convaincue que nous bénéficierons davantage de la contribution de la communauté autochtone et de son approche à la guérison qu’elle ne bénéficiera de nous.

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