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15 décembre 2010

Il est maintenant temps d’agir

Dennis Raphael, professeur en politique et en gestion de la santé, Université York

Malgré ses antécédents en matière d'élaboration de concepts de promotion de la santé et de santé de la population et ses résultats de recherche sur la question, ce rapport souligne que le Canada se retrouve loin derrière les autres pays riches et industrialisés lorsqu’il est question de transformer ces idées en politiques publiques qui renforcent les déterminants de la santé. L’incidence de la pauvreté au Canada, l’ampleur de ses iniquités sociales et sanitaires entre riches et pauvres, et ses investissements dans des programmes sociaux visant à favoriser la santé de la population générale, surtout la santé des personnes les plus vulnérables, accusent un net recul par rapport à ceux d’autres pays riches. Le rapport place ces résultats dans un contexte qui indique en quoi les déterminants de la santé – ou plus simplement, les conditions de vie – sont les principaux déterminants de la santé des Canadiens. Si nous voulons améliorer la santé de la population canadienne, il nous faudra améliorer leurs conditions de vie. Et, comme le souligne l'Association canadienne de santé publique, le moyen le plus efficace pour améliorer les déterminants de la santé consiste à intercéder en faveur d'une politique publique visant la promotion de la santé[i]. L'accomplissement d'activités de cette nature par le truchement d'une initiative publique n'était pas une priorité pour la majorité des gouvernements canadiens, qui ont préféré se concentrer sur la relance économique, la réduction des déficits et des dettes, et le maintien du système de santé.

Les preuves à l’effet que les conditions de vie sont les principaux déterminants de la santé sont nombreuses et convaincantes, à plus forte raison en matière de santé des enfants[ii]. De mauvaises conditions de vie ne se limitent pas à façonner la santé des enfants : elles menacent également les fondements de la santé, comme ceux qui mènent à l’éventuelle apparition du diabète de type II et d’une maladie cardiovasculaire chez l'adulte, affections fermement liées à des conditions de vie défavorables dans l'enfance. La prévention de ces problèmes de santé ne profite pas seulement aux personnes touchées, mais aussi à toute la société, puisqu'elle entraîne une hausse de la productivité et une réduction des coûts en soins de santé et en services sociaux. Améliorer la situation des familles avec enfants demande l’adoption des types de politiques publiques qui ont été mises en application dans d'autres pays riches, comme le décrit l'annexe 2 de ce rapport. Le Canada est plus riche que la plupart de ces pays et, par conséquent, n’a aucune excuse pour son inaction. Nous ne devons toutefois pas confiner nos efforts au seul renforcement des déterminants de la santé des enfants. Les groupes les plus imposants de Canadiens à faible revenu – accompagnés de leurs propres déterminants néfastes pour la santé – sont composés d'hommes et de femmes seuls, qui ne sont pas des personnes âgées. Les politiques publiques doivent être orientées vers l’amélioration des déterminants de la santé qui englobent tous les Canadiens et qui traversent tout l'éventail économique.

Les politiques publiques qui renforcent les déterminants de la santé sont de deux types. Il s'agira d'abord d'investir dans la population par l’apport d'avantages, de soutiens et de services. Cela se traduira parfois par l'injection de fonds dans des programmes dont presque tous les Canadiens tirent profit, comme l'éducation et les soins à la petite enfance, la préparation à l'emploi et la prestation de soins de santé et de services sociaux communautaires. Dans d'autres cas, ces dépenses prendront la forme d’avantages adaptés, accordés aux personnes incapables de travailler en raison d’une maladie, d’un handicap ou d'une période de chômage attribuable à la perte d'emplois inhérente à une économie changeante. De récentes études indiquent que le Canada est parmi les pays qui dépensent le moins pour favoriser les déterminants de la santé[iii]. Ce constat est étonnant, puisque des données probantes tirées de l’Organisation de coopération et de développement économiques et du Conference Board du Canada montrent que ce type de dépenses n’est pas incompatible avec la productivité économique et les innovations, tout en étant très compatible avec une amélioration de la santé et de la qualité de vie[iv].

L’autre type de politique publique qui vise à renforcer les déterminants de la santé procure des droits et des privilèges aux Canadiens, qui sont tenus pour acquis dans un grand nombre de pays riches et développés. Il s’agit cette fois de la mise en place de négociations de convention collective, parfois par la facilitation de la syndicalisation en milieu de travail, ou encore par une forme de sécurité d'emploi et d'avantages sociaux fournie par l'employeur. Les pays riches et développés qui ont renforcé les déterminants de la santé ont procédé à une consultation de leurs citoyens afin de s'assurer que la satisfaction de leurs besoins – qui sont aussi des déterminants de la santé – comme le revenu, le logement et l'emploi – ne se soldait pas par un échec en raison des besoins exprimés par les gestionnaires de l’économie. L'atteinte d'un tel équilibre n’est pas réservée aux seuls pays scandinaves, puisque les pays continentaux d'Europe y parviennent aussi. Autrement dit, les processus démocratiques auxquels participent les Canadiens provenant de toutes les parties de l’éventail économique sont propices à l’élaboration de politiques publiques favorables à la santé.

Le manque de connaissances des Canadiens en ce qui concerne les déterminants de la santé explique en partie la non-instauration, par les gouvernements canadiens, d'activités d’intérêt public d'une si grande envergure. En l'absence d'une sensibilisation de cet ordre, les électeurs verraient peut-être ces politiques publiques d’un mauvais œil, point très important à considérer. Un certain nombre de raisons expliquent le manque de sensibilisation du public aux déterminants de la santé, mais le fait que ce sujet est peu médiatisé est une des causes principales. Heureusement, ce rapport et d'autres du même genre apprendront aux gouvernements, aux institutions et au grand public ce qu'il faut faire pour améliorer leur santé et celle de leur famille et de leurs voisins[v]. Je félicite le Conseil canadien de la santé d’avoir donner le coup d’envoi à une politique publique canadienne qui améliorera la santé des Canadiens.

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Dennis Raphael, Ph. D., est professeur en politique et en gestion de la santé à l’Université York de Toronto.  Le Dr Raphael est éditeur de Social Determinants of Health: Canadian Perspectives, coéditeur de Staying Alive: Critical Perspectives on Health, Illness, and Health Care et auteur de Poverty and Policy in Canada: Implications for Health and Quality of Life, ouvrages tous publiés aux éditions Canadian Scholars' Press. Health Promotion and Quality of Life in Canada: Essential Readings, une collection abrégée, a été publiée en janvier 2010, et About Canada: Health and Illness a été publié en septembre 2010 par Fernwood Publishers. 




[i] Association canadienne de santé publique. (1996). Énoncé d’action pour la promotion de la santé au Canada. Ottawa : ACSP
[ii] Raphael, D. (2010). La santé des enfants canadiens. Parties I-IV. Paediatrics and Child Health, 15, janvier-avril 2010. Disponible à http://tinyurl.com/292pcyw
[iii] Raphael, D. (2010). The Political Economy of Health Promotion. Présentation faite à la Conférence de l’Union internationale de promotion de la santé et d'éducation pour la santé. Disponible à http://tinyurl.com/2dk3o3z
[iv] Organisation de coopération et de développement économiques. (2004). Perspectives de l'emploi de l'OCDE, 2004. Paris : OCDE; Conference Board du Canada. (2010). Les performances du Canada : Bilan comparatif. Ottawa : Conference Board du Canada.
[v] Mikonnen, J. et Raphael, D. (2010). Social Determinants of Health: The Canadian Facts. Toronto : York University School of Health Policy and Management. Disponible à http://thecanadianfacts.org

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